Le silence qui suit l'explosion d'énergie est presque irréel, comme si le monde lui-même avait suspendu son souffle. Les ruines de l'usine, désormais dévastées, sont baignées dans une lumière étrange et vacillante. Les échos du combat résonnent encore dans les murs fracturés, mais le tumulte intérieur des deux hommes semble bien plus puissant que les débris autour d'eux. Ils sont là, figés dans une scène apocalyptique, les corps marqués, les esprits brisés.
Thomas est le premier à bouger. Il s'assoit lentement, ses bras tremblants, le souffle court, une douleur sourde et diffuse envahissant tout son corps. Le goût du sang est encore dans sa bouche, son cœur bat de manière irrégulière, et chaque inspiration est un défi. Ses vêtements sont en lambeaux, son torse couvert de brûlures et de coupures. Ses muscles, qui ont été mis à l'épreuve dans une violence qu'il n'avait jamais connue, sont maintenant des masses de douleur qui résistent à ses mouvements. Mais ce n'est pas seulement son corps qui souffre. Son esprit est un tourbillon de pensées tourmentées.
Clara s'approche de lui, ses pas tremblants, sa présence inquiète. Elle le regarde avec des yeux emplis de tristesse, de peur, mais aussi de compassion. Elle sait ce qu'il a perdu dans ce combat. Elle sait que la violence de leurs échanges n'est pas seulement physique, mais qu'elle touche bien plus profondément les entrailles de son âme.
Clara (d'une voix tremblante) : « Thomas… ça suffit… »
Thomas (en grimaçant, ses yeux évitant les siens) : « Ce n'est pas fini… Ce n'est jamais fini. »
Il se lève avec effort, ses bras se tendant pour le soutenir, mais il repousse sa main d'un geste brusque. Il lutte contre l'épuisement qui le terrasse, contre la douleur brûlante qui refuse de le laisser en paix. Son regard se fixe sur Azran, toujours allongé dans les décombres. Ce n'est pas un regard de dédain, mais quelque chose de bien plus complexe. Il y a dans ses yeux une rage mêlée de confusion, une douleur qui ne peut être ignorée. Ils ont été plus que des ennemis, plus que des alliés. Ils ont été des rivaux, des opposés qui se sont consumés l'un l'autre jusqu'à ce que tout ce qui reste soit des blessures, physiques et émotionnelles.
Azran (dans un murmure, presque inaudible) : « Tu vois… Tu vois ce que tu m'as fait… »
Thomas (avec un rire amer) : « Non. Ce n'est pas moi qui ai fait ça. C'est toi, Azran. Toi et ta quête de vengeance, ta haine aveugle. Tu m'as forcé à me battre. »
Azran essaie de se redresser, mais une douleur sourde dans son abdomen l'en empêche. Il crache du sang, sa respiration sifflante comme s'il avait perdu tout contrôle de son propre corps. Il semble plus brisé que Thomas, ses yeux vides, perdus dans un abîme de souffrance. Il n'est plus l'homme qu'il était avant le combat. Il est réduit à un amas de douleur et de désespoir, chaque respiration un supplice.
Azran (les dents serrées) : « Tu… as toujours été un homme de principes. Un homme qui croit que la souffrance peut être réparée. Mais regarde où cela nous a menés. Regarde ce que nous sommes devenus. »
Thomas se fige. Ces mots le frappent comme une gifle. Il détourne les yeux, incapable de répondre, sachant au fond de lui qu'il n'a pas de réponse. Il aurait voulu croire qu'il pouvait tout réparer, tout réparer par la force de sa volonté, mais la réalité est bien plus cruelle.
Clara, voyant leur affrontement mental et émotionnel, s'approche d'Azran avec prudence. Elle ne dit rien, mais son regard est lourd de regrets et de tristesse. Elle tend une main tremblante, presque hésitante, vers lui. Azran la regarde un instant, mais il refuse de la prendre. Il n'y a plus de place pour les réconciliations dans ses yeux.
Azran (faiblement, sans la regarder) : « Tu sais, Clara, parfois il vaut mieux laisser les choses se briser, et accepter que certaines pièces ne se réparent jamais. »
Clara (avec une voix presque brisée) : « Ce n'est pas ce que je veux… Je ne veux pas que tu te détruises… »
Thomas (d'un ton froid) : « C'est trop tard. Il s'est déjà détruit. »
Leurs mots flottent dans l'air, lourds de significations non dites. Ils sont comme des spectres, chacun portant les cicatrices de ses propres batailles, et pourtant, aucun d'eux n'a l'impression d'avoir gagné quoi que ce soit. Ce qu'ils ont perdu est bien plus important que ce qu'ils ont trouvé.
Thomas ferme les yeux un instant. Le vent léger qui souffle dans les ruines agite les débris autour d'eux, comme pour rappeler la fragilité de leur existence. Ses pensées sont comme une tempête, dévastatrices et incontrôlables. Il se souvient du début de tout ça, de l'innocence qu'il pensait avoir, de la conviction qu'il pourrait sauver Clara et changer le monde. Mais il n'a rien changé. Tout est devenu plus compliqué, plus sombre. Et maintenant, il n'est même plus sûr de savoir ce qu'il doit faire.
Il ressent la brûlure de ses blessures sur son corps, mais ce n'est rien comparé à la brûlure qui consume son esprit. Les regards qu'il a échangés avec Azran ne sont pas simplement des combats physiques. Ce sont des confrontations de leurs âmes, des déchirements internes qui laissent des traces invisibles mais profondes. Azran a touché quelque chose en lui, quelque chose qu'il ne veut pas affronter. Mais il n'a plus le choix. La guerre n'est pas terminée, et il ne sait même pas s'il veut la gagner.
Azran, lui, reste là, comme un éclat d'ombre dans ce paysage dévasté. Il n'a pas la force de se relever entièrement, et chaque mouvement semble l'enfoncer un peu plus dans un abîme. Il ferme les yeux, le visage marqué par des expressions de douleur et de frustration. Il sent le poids de la vérité se poser sur ses épaules. Il a cru qu'il pouvait se venger, qu'il pouvait tout contrôler, mais il a oublié une chose essentielle : il n'est pas maître de son propre destin. Tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a perdu, ne l'a mené qu'à un vide encore plus grand. Et à chaque instant qui passe, il sent l'entité en lui, la colère, la haine, la destruction, se nourrir de ses failles.
Azran (dans un souffle, presque inaudible) : « Je ne sais pas ce que je suis devenu… »
Il n'a même pas la force de se relever. Son corps entier est tendu par la douleur, ses membres paralysés par l'épuisement. Les traces de ses actions sont partout : sur ses mains, sur son visage, dans son cœur. Il aurait voulu se battre encore, continuer à chercher une raison, mais il sait que tout cela est inutile. Il ne reste plus rien à sauver, plus rien à réparer. Il a sacrifié trop de choses, et au final, il n'a gagné que des cicatrices.
Thomas (regardant Azran, d'un ton distant) : « Nous n'avons pas changé, Azran. Nous sommes… perdus. »
Les mots résonnent dans l'air, lourds de vérité. Aucune des deux voix n'a la force de se relever. Ils sont prisonniers de ce qu'ils sont devenus.
Le silence tombe de nouveau, pesant, lourd. Mais même au milieu des ruines et des douleurs, quelque chose semble émerger, fragile mais déterminée. La voie de la rédemption est loin, et peut-être qu'elle n'existe même pas. Mais pour la première fois, ils réalisent que l'espoir ne viendra pas d'une victoire dans un combat, mais de l'acceptation de leurs failles, de la reconnaissance de leurs blessures.
Clara, silencieuse, les regarde. Elle sait que tout a changé, que ce n'est plus une question de sauver le monde ou de vaincre des ennemis. C'est une question de survie. Et peut-être, juste peut-être, de comprendre que la seule chose qui les reste, c'est eux-mêmes.
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