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Chapter 16 - Chapitre16 — L’Origine du Vide

Le vent s'élève, hurlant dans les cimes tordues des arbres noirs. La brume, épaisse comme du coton, rôde parmi les pierres, enroulant les silhouettes de ceux qui avancent vers l'inconnu. Les Cimes Obscures ne sont pas un simple lieu. Elles respirent une étrange malédiction, un poids ancien que même la lumière du jour peine à percer. Là, au bout du monde, là où le souffle du vent meurt avant même d'avoir été entendu.

Thomas, Clara, Léora et Lucien marchent en silence. La terre est dure sous leurs pas, comme si le sol lui-même avait été pétrifié par des siècles de souffrance. Leurs bottes crissent à peine sur le gravier sombre. Aucun d'eux n'ose poser de questions. Aucun d'eux n'ose briser l'atmosphère, chargée de secrets et de silence. Ils sont venus jusqu'ici pour arrêter ce qu'Azran a lancé, mais au fond, tous savent que ce ne sera pas aussi simple.

La route, sinueuse et abrupte, les mène vers un plateau où se dresse un ancien temple en ruines. Les pierres noircies, rongées par le temps, forment une structure imposante et désaxée. Les murs sont gravés de symboles qu'aucun d'eux ne comprend. Il y a des traces de rituels anciens, des inscriptions effacées, des stigmates laissés par des forces oubliées, dangereuses, et incompréhensibles.

Le sol lui-même semble vibrer d'une pulsation faible mais constante, comme un cœur lointain qui bat sous leurs pieds.

Léora, en tête, s'arrête soudainement. Ses yeux scrutent l'horizon, là où les montagnes semblent se fondre dans le ciel déchiré par les nuages. Elle tend une main, comme pour sentir quelque chose, et tourne lentement la tête.

— Ça ne va pas, murmure-t-elle, sa voix comme un souffle entre les pierres. Ce n'est pas juste la souffrance d'Azran. Il y a plus… une présence qui les guide. Une force qui manipule tout ici.

Ses mots gèlent l'atmosphère. Le groupe échange des regards. Une peur sourde s'installe, celle qui ne vient pas de l'ennemi, mais de l'idée qu'ils marchent dans les traces d'un dessein qu'ils ne peuvent comprendre.

Thomas, jusque-là silencieux, s'avance lentement. Il se souvient. Des coups. Du sang. De la rage. Mais surtout… de ce regard d'Azran. De cette dernière étincelle, juste avant l'effondrement. Pas de haine. Pas même de défi. Juste… une douleur muette. Une résignation.

— Il nous a manipulés. Je le sais maintenant. Chaque geste, chaque mouvement… tout était calculé. Mais ce qu'il est devenu maintenant… Ce n'est plus lui.

Clara, derrière eux, serre les dents. Elle sent la gorge se nouer. Elle sait ce qu'elle a vu. Elle a été témoin de la transformation. Du moment exact où quelque chose a rompu en lui, où il a choisi de céder à cette absence.

— C'est de sa faute… et de la nôtre, murmure-t-elle. Si on n'avait pas insisté, si on l'avait aidé à… à ne pas…

Elle s'interrompt. Les mots se brisent dans sa gorge. La culpabilité la broie.

Thomas s'arrête, se tourne vers elle, ses yeux remplis d'une compassion dure, forgée par la guerre et la perte.

— On n'a pas eu le choix, Clara. On a fait ce qu'on croyait juste. Mais maintenant, il faut l'arrêter. Peu importe qui il était.

Un silence pesant suit. Un silence qui n'efface rien.

Clara ferme les yeux. Elle revoit Azran, son rire, ses doutes, ses promesses. Et ce vide… ce vide qu'il est devenu. Elle comprend maintenant : ce n'était pas une corruption. C'était une ouverture. Une offrande. Une soumission volontaire.

— S'il reste un peu de lui là-dedans, je le retrouverai. Je…

Mais Léora l'interrompt brusquement. Elle fixe une pierre taillée, dressée à la lisière du temple.

— Il n'est pas là, Clara. Il a laissé la place. Ce n'est plus un choix, c'est une nécessité pour lui. Une transformation complète. Ce n'est plus qu'une question de survie… ou de destruction.

Lucien s'approche. Ses traits sont tirés. Il semble plus vieux, plus fatigué. Comme s'il avait vécu un siècle en quelques jours. Sa voix est rauque, comme râpée par les vérités qu'il ne parvient pas à oublier.

— Ce lieu… il nous attire. Il y a une force ici, ancienne, sourde. Ce n'est pas juste Azran. C'est… plus grand. Plus ancien. C'est ça qui nous pousse. Qui nous surveille.

Le vent souffle plus fort, chargé d'un murmure lointain. Pas un son humain. Pas un écho du monde.

Thomas avance vers l'entrée du temple. Il pose une main sur la pierre noire. Elle pulse. Comme une respiration.

— Alors on continue. Ce qu'il est devenu, ça ne doit pas arriver à d'autres.

Le groupe pénètre dans le temple. Le sol est glissant, couvert de moisissures et de cendres. Les murs, constellés de symboles circulaires et de spirales inversées, semblent vivants. Chaque pas résonne avec une lourdeur étrange, comme si le silence lui-même était oppressant.

Ils traversent un premier couloir. Les torches allumées s'éteignent l'une après l'autre à leur passage, laissant une obscurité troublante. Des murmures montent. Des chuchotements à peine audibles. Des mots dans une langue oubliée.

Clara s'arrête. Son souffle s'accélère. Elle sent un frisson glacé courir le long de sa colonne.

— Je… je l'entends. Sa voix. Elle…

Léora se retourne immédiatement, pose une main ferme sur son épaule.

— Ce n'est pas lui. C'est le Vide. Il utilise ta mémoire. Il veut t'ancrer. Te posséder.

Clara lutte. Mais quelque chose la tire. La voix. Elle est là. Juste au-delà du voile. Elle tend la main, touche une pierre gravée… et une vision l'envahit.

Azran, seul. Agenouillé. Autour de lui, des runes brillent faiblement. Il murmure. Pas des incantations. Des excuses. Des regrets.

— Vous… vous m'avez perdu. Mais peut-être pas à jamais.

La vision se brise. Clara recule brusquement, le souffle court.

— Ce n'est pas possible. Il… il est là. Une partie, au moins.

Léora secoue la tête, plus sévère qu'avant.

— Non. Ce n'est qu'une illusion. Le Vide te parle. Il te teste. Il cherche une faille. Il en a trouvé une en lui. N'en laisse pas une en toi.

Lucien titube. Il s'agrippe au mur. Ses doigts tremblent.

— Ils sont partout… des regards dans les murs… Il me parle aussi. Mais ce ne sont pas ses mots. Ce sont des souvenirs distordus. Il me montre mes pires choix. Il… il me juge.

Thomas s'approche de lui et l'aide à se redresser. Un regard rapide vers le fond du temple : une porte massive, faite de métal noir et de pierre blanche. Sur sa surface : un cercle parfait, brisé au sommet, comme une serrure sans clef.

— C'est là, dit-il. La source. Le noyau.

La température chute brutalement. Une bourrasque glacée traverse le couloir. Ils entendent un rire. Profond. Caverneux. Sans humanité.

Et puis… une voix. Non pas entendue, mais ressentie.

> Vous êtes venus jusqu'ici pour m'arrêter ?

Vous ne comprenez pas. Il ne s'agit plus de moi. Je suis… autre.

Clara recule, les yeux écarquillés.

— C'était lui. Je… je suis sûre. Il a parlé.

— Non. Thomas fixe la porte. Son visage est dur. Ce n'est pas Azran. C'est ce qu'il est devenu. Et ce qu'il veut qu'on croit.

Lucien, à genoux, murmure une prière. Pas pour lui. Pour le monde.

Le groupe se rassemble face à la porte. Un instant suspendu.

— C'est ici que tout s'arrête, dit Léora. Ou que tout commence.

— Ce qui l'attend de l'autre côté…, murmure Clara, … nous y conduira aussi.

Le Vide n'attend plus.

Il est déjà là.

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