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Chapter 9 - Bienvenue.

Tiana posa une main lumineuse sur mon épaule astrale, son contact apaisant la tempête qui faisait rage en moi. 

- Noé, commença-t-elle, sa voix, bien que calme, résonnant avec une nouvelle gravité. Ce que tu as perçu n'était pas le chef lui-même, mais un reflet. Un miroir complexe, créé par tes propres ombres intérieures et le potentiel de ce que tu cherches à maîtriser. 

Elle fit un geste de sa main droite et enveloppa les fractales environnantes, les laissant atterrir sur sa main pour y créer un diaporama : “Blumyhr est à la base un lieu de paix et d’harmonie. Ce que tu as vu est le reflet de ton âme, une simple illusion projetée par la réalité qu’il a voulu créer. Si tu regardes bien, tu apercevras toute la symphonie de mes paroles. Et comme tu peux le voir, ma main se divise en deux : ce sont les deux réalités qui se superposaient au moment où il est apparu. Tu aurais pu prendre un autre chemin, mais tu ne l’as pas fait.” 

Putain, et dire que j’allais me faire avoir alors que je viens à peine de débarquer. Je suis un vrai con. 

- Tu as été attiré par son envie, ses pulsions. Pas les tiennes. Il a puisé dans la mémoire cellulaire de ton ego et t’a montré ce qu’il voulait, pas ce que tu voulais. 

Je me sentais secoué. La clarté de ses mots, la justesse de son analyse de mes propres pensées, me frappaient avec force. L'excitation fiévreuse que j'avais ressentie s'estompait, remplacée par une prise de conscience profonde. 

- Je comprends, prononçai-je d’une voix honteuse. Je n’ai pas pu voir les réalités, je n’en ai vu qu’une seule. Je te demande pardon. 

Tiana me sourit. 

- La première étape de l'éveil est de reconnaître l'illusion, Noé. La seconde est d'apprendre à la transcender. Tu n'es pas imparfait ; tu es en train d'apprendre. Chaque tentation est une leçon voilée, chaque chute, une opportunité de te relever avec une sagesse nouvelle. Le chemin vers le dernier seuil n'est pas linéaire. Il est parsemé de miroirs qui te renvoient ton propre reflet, te défiant de regarder plus profondément. 

Elle m’invita ensuite à découvrir un aperçu plus intime de la création ici. Pour ce faire, elle m’emmena chez elle. 

Et si elle m’invite pour autre chose ? Intime... intime... intime. Elle entend quoi, par “intime” ? Mince, je n’arrive plus à contrôler mes pensées, c’est un vrai tourbillon. 

Elle flotta devant moi, me guidant à travers des couloirs de lumière qui s'adaptaient à notre passage, se tordant et se reformant. 

Nous arrivâmes devant une structure qui, de l'extérieur, semblait être une simple colonne de lumière pulsante, se fondant presque dans l'environnement. 

Je m'attendais à une pièce, à un espace clos. Mais l'intérieur était une explosion de couleurs et de formes qui défiait toute logique spatiale. C'était un véritable univers en miniature, un cosmos personnel où les étoiles étaient des gemmes vibrantes, et les nébuleuses, des nuages de pensée pure. Le sol, les murs, le plafond n'existaient pas en tant que surfaces fixes ; tout était fluide, se transformant au gré d'une intention subtile. 

Des cascades de lumière tombaient du ciel pour former des rivières d'énergie traversant des forêts d'arbres faits de musique cristallisée. 

Des créatures éthérées, faites de pure conscience, dansaient entre les branches, leurs mouvements générant des harmonies visuelles. 

Chaque recoin abritait une nouvelle merveille : un champ de fleurs dont les pétales étaient des fragments de rêves, un lac de sérénité où les reflets montraient des vérités universelles. 

- Ici, la réalité se plie à l’intention, expliqua-t'elle. Tu n’as pas besoin d’imaginer, mais de simplement penser. C'est le principe fondamental de notre existence ici. Tu ne vois pas une maison, Noé, tu vois une volonté manifestée. 

Je restai sous le choc, submergé par cette symphonie de création. Mon ancienne réalité, avec ses contraintes physiques et ses lois immuables, semblait maintenant d'une aridité désolante. 

Je me tenais là, au milieu d'un univers infini créé par l'intention. Chaque couleur, chaque forme, chaque éclat de lumière autour de moi était le fruit d'une pensée. L'émerveillement était total. 

L'invitation silencieuse de Tiana à explorer cette liberté résonna en moi. J'avais passé ma vie à observer, à analyser les mondes des autres. 

Maintenant, c'était à mon tour de créer. 

Mon regard se posa sur un coin de l'espace infini de la demeure de Tiana, un endroit où les couleurs se fondaient en un vide invitant. 

Je fermai mes yeux astraux, me concentrant. Je ne pensais pas à une forme précise, mais à une sensation, un concept. 

Une douce chaleur commença à émaner de mon centre. 

Les fractales autour de moi frémirent. Puis, là où mes pensées s'étaient posées, une lumière émeraude commença à pulser, s'étendant lentement. 

Ce n'était pas un simple rayon, mais une onde de création qui se solidifiait en une matière lumineuse. Le sol sous mes pieds s'arrondit, se transformant en une sphère mélancolique, d'un bleu profond, parcourue de veines dorées. 

Au-dessus de cette sphère, un ciel apparut, non pas bleu, mais d'un indigo profond, parsemé d'étoiles qui n'étaient pas des points lointains, mais des filaments de conscience entrelacés, chantant une mélodie silencieuse de sérénité. 

Des arbres, faits de saphir liquide et de feuilles de lumière argentée, poussèrent du sol en un instant, leurs branches s'étendant en spirales parfaites vers le ciel. 

Une petite cascade de lumière liquide, scintillante de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, jaillit d'une roche de cristal, se déversant dans un lac dont la surface reflétait non pas mon image, mais une version épurée de mon potentiel, une vision de mon moi le plus élevé. 

Je ne pouvais entrevoir cette vision, je pouvais seulement la conscientiser. Elle était floue, faite d’une couleur opaque qui brouillait la vision. 

Tiana, à mes côtés, avait observé la scène en silence. Son regard brillait d'une satisfaction profonde. 

Je contemplais mon œuvre, ce monde né de ma pensée. 

L'attrait de la domination pure, de la soumission d'autrui, s'était estompé face à la grandeur de la création sans limite. 

Le véritable pouvoir n'était pas d'écraser, mais de construire. Non de prendre, mais d'offrir. 

Et l'aventure ne faisait que commencer. 

Alors que le dernier arbre de saphir s'ancrait dans le sol de mon univers, un étrange phénomène se produisit. 

Une vibration subtile, une faille dans la trame de ma nouvelle création, commença à se manifester. Ce n'était pas un défaut, mais une distorsion, comme une réminiscence tenace. 

Mon propre ego. 

L'univers de paix que je venais de créer se figea, et des fissures lumineuses apparurent dans l'air, traçant un chemin vers une nouvelle vision. 

Je fus aspiré par une boucle spatio-temporelle née de mes propres pensées les plus profondes, celles qui persistaient encore malgré les avertissements de Tiana. 

L'illusion, une fois de plus, se présentait sous un nouveau jour. 

Je me retrouvai projeté dans un monde où tout n'était que reflets de ma propre puissance. 

Les paysages étaient sculptés à mon image, des montagnes gigantesques portant mon visage, des océans calmes où mes pensées flottaient comme des îles. Les êtres qui s'y mouvaient étaient des extensions de ma volonté, des ombres admiratives, leurs regards remplis d'une vénération aveugle. 

Dans cette réalité, j'étais le plus fort, ma silhouette dominant les horizons. 

Ma connaissance était absolue et je la distillais pour prouver mon intelligence inégalée. 

Mon corps astral rayonnait d'une beauté parfaite, idéalisée par ma propre perception. 

Mon intellect, acéré comme une lame, décortiquait les énigmes les plus complexes, laissant les autres dans une admiration muette. 

J'étais le plus fort, le plus imposant. J'étais la loi. Tout le monde m’obéissait. J'étais le maitre et ils étaient mes chiens. 

Je réalisais pleinement le danger de ce chemin. La solitude glaciale de ce monde parfait, construit par mon ego, était plus effrayante que n'importe quel chaos. 

Pourtant, malgré la répulsion, une autre pensée émergea, une curiosité tenace. 

L'avertissement de Tiana et cette vision m'avaient montré la conséquence de céder à l'ego, mais je n'avais pas encore compris la nature même de cette force qui me tirait. 

Je suis en train de faire une belle connerie, je le sens. Mais tant pis, je veux observer la beauté obscure de mon ego. Si je veux détruire cette réalité, je dois rentrer dans cette réalité. 

Pour s'aventurer dans cette boucle spatio-temporelle de l'ego, Noé ne se jeta pas tête baissée. Il approcha la fissure lumineuse qui s'était ouverte dans son univers personnel avec une intention claire et une conscience aiguisée. Il ne s'agissait pas de succomber, mais d'observer. 

Il s'ancra fermement à la sensation de paix de son univers nouvellement créé, le maintenant comme un phare lumineux derrière lui. C'était son point de retour. 

Puis, il s'avança, permettant à la boucle de l'ego de l'envelopper. Les paysages grandioses et les êtres serviles de son monde parfait se manifestèrent autour de lui. 

L'immersion fut instantanée et enivrante. Les sens que je connaissais furent submergés par de nouvelles perceptions. C'était comme si chaque cellule de mon être vibrait en résonance avec une puissance illimitée. 

Les paysages se déployaient avec une grandeur et une beauté à couper le souffle, des architectures éthérées qui surpassaient tout ce que j'avais vu à Blumyhr, car elles étaient les manifestations directes de mon désir le plus profond. 

Des fontaines d'énergie pure jaillissaient du sol, et chaque son était une symphonie dédiée à ma gloire. 

Je n'étais plus un simple observateur ; je sentais la poussée irrésistible de cette réalité. 

L'ego me tirait vers lui, m'invitant à devenir le souverain absolu que cette boucle avait créé. 

La solitude abyssale que j'avais perçue auparavant semblait maintenant insignifiante face à l'immense satisfaction d'être le centre de tout. 

J'étais le plus fort, le plus beau, le plus intelligent, le plus imposant. Ces attributs n'étaient pas des concepts, mais des sensations palpables, des certitudes qui m'enveloppaient. 

C'est trop bon. Je n’arrive pas à me détacher de ces sensations. Je suis le roi, je vais écraser tout le monde. Ils sont des insectes, ils doivent goûter ma semelle. 

Plus je m'enfonçais, plus la réalité se solidifiait autour de moi. 

Ce n'était plus une vision lointaine, mais un monde dans lequel j'étais en train de vivre. 

Les contours de mon corps astral fusionnèrent avec ceux d'une nouvelle forme, une enveloppe parfaite qui incarnait tous les idéaux de mon ego. 

Je rentrai dans ce personnage, cet autre moi, comme on enfile un vêtement taillé sur mesure. 

Les souvenirs de Tiana, de Blumyhr, ne s’estompèrent pas, ils étaient simplement en arrière-plan. 

La clarté de la pensée de mon phare lumineux s'effaçait sous la puissance de cette nouvelle réalité que j'incarnais. 

Je décidai de vivre comme si de rien n'était. Comme si ce monde de gloire personnelle avait toujours été ma réalité. Les désirs de ma forme précédente, les peurs, les doutes, tout cela semblait ridicule, ici. 

Je me réveillai dans une chambre dont les dimensions défiaient la compréhension. 

Des soies tissées de lumière aurore drapaient les murs, des gemmes géantes incrustées dans le plafond émettaient une petite lueur. Le sol était un miroir parfait, reflétant ma propre silhouette, magnifiée, plus éclatante que jamais. 

J'étais le Roi Oroxek, souverain d'Elstrus, un royaume dont l'existence même était façonnée par ma volonté. 

À mes côtés, des serviteurs silencieux, des êtres faits de mon énergie, attendaient mes ordres. 

Leurs yeux étaient remplis d'une dévotion absolue. 

Je n'avais qu'à penser un désir, et il était exaucé. 

Un festin de saveurs inouïes ? des mets d'une complexité gastronomique se matérialisaient. Une symphonie pour accompagner mon humeur ? des musiciens éthérés commençaient une mélodie qui résonnait directement dans mon âme. 

Le peuple d'Elstrus m'idolâtrait. Chacune de mes apparitions sur les balcons de mon palais déclenchait des vagues d'acclamations qui résonnaient à travers la ville. 

Des statues gigantesques à mon effigie parsemaient les avenues, me représentant dans des poses héroïques, mon corps sculpté à la perfection. 

Chaque citoyen vivait dans la conviction que ma présence était la source de toute prospérité, de toute joie. Ils ne me suivaient pas par peur, mais par une foi aveugle en ma supériorité. 

Ma vie de souverain était une succession de triomphes. Il n’y avait aucun empire rival, ils étaient consumés par mon souffle. 

Je n'affrontais jamais d'obstacles. Chaque défi se transformait en une opportunité de démontrer ma grandeur. 

Une famine menaçait ? une seule de mes intentions suffisait à faire pleuvoir des pluies nourricières et à faire pousser des récoltes abondantes. 

Une maladie ravageait ? ma seule présence suffisait à restaurer la vitalité. J'étais la solution à tout, l'alpha et l'oméga de ce monde. 

Aujourd'hui, il a décidé de faire un discours en public pour montrer sa gloire, sa puissance. À peine son intention posée que le peuple sortait et discutait du roi. Il avait hâte de le voir, de l’entendre. 

Il s'était massé le long des avenues de lumière, leurs chants de louange s'élevant comme une prière collective. 

Je m'avançai sur le balcon principal de mon palais, ma silhouette drapée dans des étoffes scintillantes, mon aura irradiant une puissance que nul ne pouvait contester. 

Je levai la main, et un silence respectueux tomba sur la foule, un murmure d'adoration remplaçant les acclamations. Leurs yeux, fixés sur moi, reflétaient l'image que j'avais créée : celle d'un dieu vivant, d'un roi absolu. 

De retour dans la salle du trône, je m'assis sur mon siège, un trône sculpté dans la lumière solidifiée, dont chaque courbe épousait parfaitement mon corps. 

L'immense pièce, vide de toute présence autre que la mienne, résonnait du silence de ma toute-puissance. 

Je fermai les yeux un instant, savourant l'écho de l'adoration populaire, puis une nouvelle pensée me traversa l'esprit. 

Mon désir se manifesta. Devant moi, dans un scintillement d'énergie, une elfe apparut. 

Sa peau était d'un vert pâle irréel ; ses cheveux, d’un noir liquide ; et ses yeux, des rétines à mon image. 

Elle me ressemblait, elle était d'une beauté parfaite, modelée par ma seule intention, une créature de pureté et de grâce. 

Elle s'agenouilla, la tête baissée, attendant mes ordres.

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